Lettre d’un libéral aux agriculteurs et à Willy Borsus

Chers paysans, chers fermiers, chers agriculteurs et cher ministre,

Nous sommes lundi 07 septembre à Bruxelles et vous manifestez votre mécontentement. Je pense, comme vous, qu’il est légitime. Vous avez été trompés, spoliés, volés. Mais vous vous trompez de cible.

Comme énormément de Wallons, je suis issu du monde paysan. Bien entendu, je ne l’ai pas connu directement. Mes deux grands-pères ont profité de la fin de la guerre pour s’en sortir, l’un en maçonnerie, l’autre en boucherie. Mais « la ferme » est restée un mythe familial. Des cousins éloignés y habitent encore. Mon papa y a passé son enfance. À la maison, on en parlait avec nostalgie, on montrait les photos. Jusqu’à 12 ou 13 ans, je voulais devenir fermier. Je regardais dans mon village le voisin sur son tracteur Lamborghini, j’étais épaté par l’idée d’en avoir un de cette marque là. Encore aujourd’hui, ce tracteur blanc est sur la liste des objets à m’offrir avant mes 50 ans et je me rêve en gentleman farmer du dimanche, avec mes deux vaches et mes cinq poules. Je voyais mon voisin épandre le purin dans la prairie qui jouxtait le jardin familial et j’aimais beaucoup me moquer de mes amis de classe qui, venant « de la ville », se plaignaient de l’odeur. Avec le Patro du village, j’ai trait des vaches, passé des journées à donner « un coup de main » à l’un ou l’autre agriculteur du coin. Au bal du village, devant le chapiteau, on voyait autant de tracteurs que de voitures.

Tout ceci n’est pas seulement pour le plaisir de raconter ma vie sur mon blog, mais pour vous dire que c’est en ami que je vous écris, pas en économiste froid ou en philosophe de salon n’ayant vu les agriculteurs qu’à la télévision ou lors de ses vacances rurales. Bien que ne connaissant pas véritablement de l’intérieur votre métier, je l’aime de tout mon cœur et je pense qu’il est encore temps de le sauver si vous vous y prenez bien.

Mais laissez-moi encore vous raconter une anecdote. Vers 19 ou 20 ans, j’étais encore membre des JMR, la jeunesse du MR. Une erreur d’adolescent. Mais, je n’oublie pas l’une des activités que j’ai préféré durant mon parcours dans ce parti. On a organisé durant un WE le tour des fermes de la région, accompagnés de l’un des propriétaires, producteur laitier, et qui était aussi conseiller communal MR. Je crois que mon déclic libéral s’est fait en partie ce jour là. J’ai vu la fosse à purin, gouffre à millions qu’il a fallu refaire deux fois en 10 ans à cause des changements de normes écologiques. Des millions qu’il faut bien trouver, les subventions ne couvrant pas l’intégralité des dépenses. J’ai vu la paperasse incroyable qu’il faut remplir. J’ai vu l’impensable suite de normes et d’obligations auxquelles vous devez vous tenir. Des normes tellement kafkaïennes qu’elles ne pouvaient sortir que du cerveau malade de l’UE. Leur complexité était telle et leur prix de mise en œuvre si élevé, qu’elles mettaient en difficulté la survie des exploitations de tailles petites et moyennes, comme c’était encore le cas récemment pour le fromage de Herve. Et j’ai surtout compris l’incroyable stupidité des quotas.

Messieurs les agriculteurs, et monsieur le ministre, les problèmes auxquels vous faites face aujourd’hui ne sont pas la faute du libéralisme ou de la libéralisation de l’économie agricole. Tout le contraire, vous payez très cher 30 ans, et plus, de politique socialiste.

En effet : peut-on imaginer plus socialisant comme économie que celle de la PAC ? Comment appeler autrement une politique qui consiste à empêcher par la planification étatique l’organisation autonome de la production et de l’économie ? En échange de cette limitation de la production, l’UE s’était engagée à verser aux agriculteurs énormément de subventions. Une politique entièrement anti-libérale qui marche totalement sur la tête : d’un côté on décourage la production par le quota et de l’autre, on l’encourage par les subventions. C’est absolument schizophrène.

La PAC, dans sa première mouture (protectionniste et productiviste, réellement calquée sur un modèle soviétique, la propriété des exploitations par l’État en moins) a provoqué dès les années 60 des pics de productions élevés. La goutte d’eau qui fait tout déborder arrive dans les années 80 : la production agricole européenne est telle que les prix chutent à des niveaux records. Réaction de l’UE ? Transformer la PAC en mesure anti-productiviste par l’introduction en 1984 de quotas. On voit aujourd’hui que non seulement cela n’a pas résolu votre problème, il y a toujours surproduction agricole (c’est pour cela que les prix baissent), mais qu’en plus, elle en a amené d’autres.

Cette crise est donc une crise étatique classique. D’abord, l’État propose son aide car il voit un problème. L’agriculture à la sortie de la seconde guerre mondiale n’est pas assez moderne à son goût. Et comme il suppose que vous, agriculteurs, paysans, fermiers, vous êtes trop stupides pour vous moderniser tout seuls, l’État décide de s’en occuper à votre place. Arrivé au gouvernail, il crée un problème de toute pièce : la surproduction. C’est ensuite toujours la même histoire. Face au problème qu’il a créé, l’État en crée un nouveau pour camoufler son erreur et, éventuellement, pointe le doigt vers une tierce personne. Le marché forme une cible idéale puisque après 60 ou 70 ans de démagogie sociale-démocrate, bon nombre de personnes sont persuadées qu’il constitue le grand méchant loup. D’autres vous ont mis en tête que la faute était du côté des marges de la grande distribution, mais la réalité est cruelle : ses marges nettes sont de l’ordre de 1 à 5%, quand elles ne sont pas négatives ! Ce n’est bien entendu pas là que disparait votre argent.

La seconde erreur créée pour camoufler la débâcle de la surproduction étatique à consisté à mettre en place une politique avec une main gauche dotée un large système de subventions et une main droite pleine de quotas, main qui a surtout freiné la modernisation et non la production. Mais les prix ne tombent pas du ciel, n’en déplaise aux étatistes. Ils sont le résultats de l’offre et de la demande. Avec la PAC, l’Europe à tenté de fermer la porte de la maison agricole à la réalité économique. Le problème avec la réalité, c’est que quand on lui ferme la porte au nez, elle finit par entrer par la fenêtre tout en faisant plus de dégâts.

Monsieur Willy Borsus, vous qui êtes ministre « libéral » de l’agriculture, par quel miracle arrivez-vous à comprendre ce phénomène d’une manière tellement fausse que ce matin vous expliquez au micro de la RTBF que « le marché a ses limites » ? J’en suis tombé de ma chaise, bouche bouée ! Soit vous un piètre ministre de l’agriculture qui n’a jamais compris que la PAC était l’extrême inverse du résultat du marché. Soit vous êtes un piètre libéral qui n’a rien compris à ce qu’est, justement, le prix et le fonctionnement du marché. Soit, en bon politicien, vous savez que le public à une mauvaise image du marché et vous brassez l’air dans le sens du vent. Que doit-on en penser ?

Je rappelle que ces problèmes de surproduction ont maintenant près de 40 ans, qu’ils existaient déjà à l’époque des quotas et du prix fixe du lait et que donc, la surproduction actuelle n’a rien avoir avec le prix du marché. Celui-ci n’est qu’une réponse conjoncturelle à une crise structurelle. En critiquant le marché, vous vous acharnez sur le thermomètre, pas sur les causes de la fièvre.

Le fond du problème, c’est que 60 ans de politiques socialistes en Europe vous ont déconnecté, chers agriculteurs, des réalités économiques. Avec les subventions, l’argent tombait quelque soit l’état de l’économie, les gros céréaliers en tête. La main gauche de l’État qui vous nourrissait de subventions à fait des vous des quasi-fonctionnaires dépendant de l’argent public. Vous avez passé plus de temps à vous mettre aux normes européennes qu’aux normes de l’économie. Des normes européennes qui, soit dit en passant, ont largement favorisé les industriels face aux producteurs locaux. La Fédération Nationale Porcine de France se plaignait en 2013 au ministre Le Foll de l’administration lourde qui empêche tout développement. Comme le fermier de mon village, vous avez du investir dans une nouvelle fosse à purin tous les 10 ans pour satisfaire les lubies de quelques écolos plutôt que vous assurer que votre domaine agricole pourrait subvenir aux besoins réels de l’économie et satisfaire la demande de manière adéquate. Le plus fou, c’est que pendant ce même temps, la PAC productiviste vous a encouragé à utiliser un tas de produits néfastes qui polluent aujourd’hui nos campagnes, nos nappes phréatiques et créent énormément de maladies dans vos propres familles. La liste des échecs de la PAC est longue comme un jour sans pain et je vous passe bien des détails, en partie énumérés ici par un ancien haut-fonctionnaire français.

Même les problèmes indépendants de la PAC sont des problèmes d’ordre étatiques : est-ce la faute du marché si la Russie organise son protectionnisme en ordonnant le boycott de notre production, suite à un premier boycott Européen ? Évidemment que non, c’est encore un problème dû aux États.

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Alors, je vous pose une question : j’entends nombre d’entre vous exprimer dans les médias qu’ils ne veulent pas spécialement de l’argent mais simplement vivre de leur métier. Vous avez 1000 fois raison, c’est tout à votre honneur. Mais alors pourquoi continuer à demander, après tout ce que je viens de rappeler, de l’aide de la part des gouvernements, eux qui sont très largement responsables de la situation actuelle ? Pourquoi demander de l’aide à son bourreau ? Pourquoi ne pas décider une bonne fois pour toutes d’être vous même acteurs et responsables de l’agriculture ?

Je vous encourage à vous renseigner sur le modèle agricole de la Nouvelle-Zélande. Les agriculteurs de ce pays se sont retrouvés sans aide du jour au lendemain. Ils ont du se débrouiller seuls. Comme vous, ils ont beaucoup protesté à l’époque. Et aujourd’hui, les agriculteurs de ce pays ont une économie paysanne parfaitement libérale et en bonne santé. Vincent Bénard a écrit un long article que je vous encourage à lire sur les problèmes de l’agriculture française et revient, lui aussi, sur les solutions de la Nouvelle-Zélande. Celles-ci sont même rappelées sur le site de l’ambassade du pays. Un bon exemple à suivre, non ?

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